Convaincre et Persuader sont deux verbes d’influence qui infléchissent la volonté et visent à faire passer une opinion du doute à l’assentiment. Les deux requièrent talent, aisance, élocution et pensée structurée, mais leur cheminement diverge ; le premier raisonne et interpelle l’esprit, le second résonne et sollicite le cœur. La conviction cherche l’adhésion de l’intelligence, la persuasion celle de l’émotion, via l’éloquence en lui donnant un « air de raison » (Alain).
L’opposition entre les deux est un thème majeur des dialogues de Platon (Gorgias, Protagoras, Hippias…), peu amène avec les sophistes qu’il stigmatise pour leur rhétorique habile, plus soucieuse de pouvoir que de sagesse ou vérité.
Les raisons du cœur
Loyale, la conviction s’épanouit dans le vrai et l’indiscutable (étymologiquement, qui interdit la parole). Le faux ou le mensonge lui sont donc étrangers. Être convaincu, c’est être vaincu par l’évidence sur le mode apodictique du vrai. La raison s’adresse à celle d’autrui pour la faire vaciller et l’amener à un consentement réfléchi, éclairé par des preuves et une démonstration rigoureuse, formelle, logique et déductive, sans succomber à l’émotion. La conviction veut emporter victoire par la lumière de l’esprit.
Au contraire, la persuasion s’expose à fugacité car soumise aux arguments d’affect et à un tourbillon esthétique de métaphores pour mieux dessiner une idée. Persuader est un art éristique usant des stratagèmes proposés par Schopenhauer (L’Art d’avoir toujours raison) et qui recourt à une amabilité de la forme, fût-elle sophistique. L’objectif est de susciter ou accélérer un mouvement de sympathie pour affecter plus vite le cœur :
« un degré d’émotion qui élève l’âme et l’échauffe sans lui ôter ses facultés, leur donne plus d’énergie. L’esprit semble acquérir de nouvelles lumières, il devient plus pénétrant, plus ferme et plus étendu »
Abbé Girard, Préceptes de rhétorique.
C’est pourquoi, l’orateur talentueux sait donner le frisson aux mots.
Ad probandum versus ad narrandum
Le plaidoyer n’exige d’ailleurs pas du rhéteur qu’il croie à ce qu’il dit. La plaidoirie d’un avocat vise au contraire à convaincre, à inspirer au juge l’envie de lui donner raison tout en lui proposant les moyens juridiques de le faire. La justice est un lieu de controverse ; le débat contradictoire doit y faire émerger une vérité judiciaire sous la forme d’un jugement. Celui-ci est délibération, synthèse dialectique d’un différend soumis à l’appréciation loyale d’un juge éclairé.
« S’il n’est pas satisfaisant pour l’amour-propre de convaincre, il est plus sûr pour l’intérêt de persuader. »
Pierre-Marc-Gaston de Lévis,
Maximes et préceptes
For intérieur
Au sens juridique et premier, la conviction est une preuve de culpabilité au point de friser l’oxymore devant la Cour d’Assises où il est demandé au jury de décider selon son « intime conviction ». Or, la loi n’exige pas des jurés une motivation argumentée, mais leur prescrit de se demander « dans la sincérité de leur conscience quelle impression ont faite sur leur raison, les preuves rapportées contre l’accusé et les moyens de sa défense ».
Ne s’agirait-il pas alors d’« intime persuasion » ? En réalité, cette belle épithète est si exigeante qu’elle rééquilibre la subjectivité et au-delà du secret, fait appel à la profondeur de la conscience, l’intimus étant le superlatif d’intérieur, au point d’atteindre à la rigueur intellectuelle de la conviction. Le citoyen est ainsi porté à l’exigence par la lourde responsabilité que, postulant sur sa probité, la République lui confie de juger un homme comme lui.
Jacques Varoclier