Pour échapper à sa peur, l’homme a accepté de sortir de son état sauvage en se soumettant à une relation codifiée avec autrui. Ce choix « contre nature » est le prix du sommeil, de la paix et de la sécurité.
La société symbolise ainsi le passage politique et contractuel d’un état de nature à un état de culture.
Cette vie en société repose sur des normes qui apaisent notre animalité rampante, favorisent la coexistence pacifique de nos égoïsmes reptiliens et se fixent pour cap la Justice avec une intimidante majuscule.
Que sa motivation soit politique (jeu de forces opposées), noble (quête d’un progrès social) ou même « une ruse de la raison » (Kant), le droit arbitre et instaure des limites à une liberté individuelle expansionniste. Il canalise les violences, passions ou aveuglements, qui embrument notre raison.
« Ainsi la liberté, c’est le droit ; la société, c’est la loi. » Victor Hugo
À défaut de le moraliser, le droit civilise l’homme. Il est une fiction performative qui, via une quête de valeurs, reconnaît, instaure et protège des droits, dont certains sont fondamentaux.
Ceux inscrits dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 (DDHC) sont individuels : la sûreté, qui garantit judiciairement contre l’arbitraire ou les abus de l’État, les libertés d’opinion, religieuse, d’expression, droits de la défense ; les autres sont collectifs comme ceux figurant dans le préambule de la constitution de 1946 et relatifs à la famille, l’instruction, le droit de grève et d’action syndicale ou encore le droit au travail.
« Tout être humain sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. »
En dehors de ces sphères constitutionnelles, le droit est un outil de développement et de transformation. À la fois géologue et géographe, il agit en profondeur à travers des concepts juridiques stables qui en assurent les fondements, mais intervient aussi en cartographe d’une époque. C’est pourquoi, la loi s’adapte, parfois même se soumet à une opinion ondoyante, au point que légal n’est pas synonyme de juste, légitime ou moral.
« Le droit se meut dans le juste ; la loi se meut dans le possible. »
Au lieu de suivre les tendances d’une démocratie versatile, le législateur devrait s’inspirer de la noblesse de sa mission, éclairer et orienter le peuple, anticiper avec pédagogie luciphile, les mutations sociétales, et à leur nombre, préférer la qualité rédactionnelle des lois, conçues au reflet des principes de responsabilité et libre arbitre inspirés par les Lumières.
La justice des hommes fait œuvre de régulation et s’efforce de rendre vivant cet héritage, alors que la Justice-vertu est un idéal. Les deux pourtant reposent sur les principes essentiels de liberté et d’égalité, souvent réduits au rang de postulat, face au permanent rapport de forces de la réalité.
Égaliberté (E=L) est le nom donné par Étienne Balibar à la tension instable existant entre ces deux notions cardinales figurant aux articles 1&2 de la DDHC. Elles symbolisent un horizon ; leur conquête est moins une destination que le chemin du « droit aux droits » évoqué par Hannah Arendt.
Avocat et député de la Constituante de 1848, Henri Lacordaire exprimait déjà sa conviction en la force du droit, soutenant à l’instar de Victor Hugo, que sans égalité ni responsabilité, la liberté conduit « le fort » à abuser et opprimer.
« Entre le fort et le faible, […] c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. »
En effet, une loi juste peut émanciper et ouvrir liberté en fixant des limites, acceptées par une volonté générale, transcendant la somme des intérêts individuels. La loi est l’expression de cette liberté tempérée.
Cet équilibre demeure fragile, exposé aux terrorisme, conservatisme et autres protectionnismes. Pourtant, ces risques ne doivent pas favoriser une conception administrative de la dangerosité.
La vigilance démocratique doit refuser que s’ouvre « l’ère du soupçon » dénoncée par le Défenseur des droits ou que se transforment « le principe de précaution en principe d’anxiété et les sociétés du risque en sociétés de la peur »* au nom d’une illusoire et dangereuse justice pénale prédictive.
Soyons vigilants à ne pas laisser un État de contrôle et surveillance s’insinuer dans nos démocraties et se substituer sournoisement à un État de droit.
Jacques Varoclier
*Mireille Delmas-Marty
Visuels : shutterstock ; Varoclier Avocats