En dehors de la surveillance imposée par la lutte contre le blanchiment ou le financement du terrorisme, une banque ne doit pas s’immiscer dans les affaires de son client. Ainsi n’a-t-elle pas à contrôler la régularité, la qualité, ni la licéité des opérations qu’elle finance. Ce devoir de neutralité n’exclut pas vigilance.
Une banque s’abstiendra de financer artificiellement l’activité d’une entreprise qu’elle sait en situation irrémédiablement compromise ; un tel soutien serait en effet abusif et fautif, parce que de nature à fausser la perception de sa solvabilité par les tiers ou créanciers.
Toutefois, sauf manquement au devoir de mise en garde (cf. infra), ce risque est endigué en procédure collective, où pour encourager les banques à financer les entreprises les plus fragiles, la loi dédouane de responsabilité tout créancier ayant consenti un concours sous une forme quelconque (flux ou délais), sauf à démontrer fraude, immixtion caractérisée dans la gestion du débiteur ou disproportion des sûretés prises en garantie.
À l’égard des particuliers, la jurisprudence a progressivement mis à la charge du banquier des devoirs d’information, de vigilance et de conseil, variables selon la nature de l’opération et le profil averti ou non du co-contractant.
L’information doit être claire, précise, comprise par le client, porter principalement sur les conditions objectives du prêt souscrit et notamment son adéquation aux facultés contributives de l’emprunteur. La banque doit en effet veiller à ce que le crédit proposé convienne à la situation dont elle a connaissance, a fortiori lorsqu’elle est gestionnaire du compte, ou s’il s’agit de montages financiers plus complexes comme ceux liés à des opérations de défiscalisation.
En l’absence de texte contraire, elle n’a en revanche pas d’obligation active de conseil visant à orienter la décision de son client, notamment sur l’opportunité ou les risques de l’opération financée, mais celle d’une vigilance responsable.
Toutefois, au cours des dix dernières années, la jurisprudence a donné naissance à un devoir bancaire de mise en garde des emprunteurs ou cautions non avertis, fussent-ils assistés de leur propre conseil. Cette obligation accrue consiste à sensibiliser le client sur les risques financiers d’un projet de financement, ses éventuels aspects négatifs et aléatoires, voire ses dangers inhérents à la nature spéculative de l’opération financée. Il s’agit le cas échéant d’orienter vers une solution alternative moins exposée, voire d’alerter sur un risque d’endettement excessif ou inadapté.
L’obligation qui s’apparente ici à une version dissuasive du devoir de vigilance ne vaut que pour les non-avertis, précision apportée qu’il ne suffit pas d’être « professionnel » pour être « averti ». Le devoir de mise en garde est étroitement lié à l’acuité propre des clients ou garants et leur perception effective du risque. Ainsi, n’est pas un « profane » l’emprunteur apte à apprécier les conséquences de son prêt, l’importance des remboursements consécutifs et leur congruence avec ses facultés contributives.
Au demeurant, lorsque les capacités financières de l’emprunteur ou de la caution sont adaptées au projet financé, la banque est libérée de cette obligation renforcée, n’ayant alors pas à établir préalablement la qualité d’averti de l’emprunteur et/ou la caution.
Avec les ordonnances de mars 2016, le droit de la consommation ou du crédit immobilier fait peser sur la banque (ou l’intermédiaire) un devoir actif « d’explication » à l’emprunteur pour le sensibiliser sur la portée de ses engagements, l’impact du prêt sur sa situation financière, les conséquences de sa défaillance afin de s’assurer qu’il signe en connaissance de cause.
Tout manquement à cette nouvelle obligation est sanctionné par une déchéance, modulable ou plafonnée, du droit aux intérêts contractuels et parfois pénalement pour les prêts immobiliers.
Ainsi, entre non-ingérence, mise en garde et explication, la banque est sur une ligne de crête. L’équilibre est rendu instable par la nature subjective des critères et l’appréciation souveraine que les juges en font. Dans tous les cas, la banque doit pouvoir apporter la preuve qu’elle a rempli son rôle, dont l’amplitude est inversement proportionnelle au degré d’initiation et d’avertissement de son client, lequel se mesure à l’aune de sa formation
et son (in)expérience.
Jacques Varoclier
Avocat à la Cour
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