« Le Monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal mais par ceux qui les regardent, sans rien faire » (Einstein).
Moins le monde est humain, plus il se veut humanitaire, comme si notre égocentrisme se disculpait via la promotion des vertus caritatives.
Nos prises de conscience subites n’ont d’égal que nos indignations provisoires ou sélectives, face aux criantes inégalités, injustices, scandales financiers impunis, mensonges des dirigeants politiques ou pis encore aux morts de froid ou de faim. Les motifs d’indignation sont trop nombreux pour tous être ceints.
Comme la pitié de Stéphane Zweig, l’indignation deviendrait dangereuse si elle était simple éruption. S’indigner du mal ou de la pauvreté dans le monde est inutile et complaisant et ne sert qu’à désaltérer sa bonne conscience, comme la charité à la sortie de l’Église. Pourtant même fugace, notre indignation exprime un refus face à l’intolérable.
Ce mot a retrouvé son parfum de résistance avec le succès éditorial de l’opuscule de Stéphane Hessel. Il est surtout le titre d’un remarquable essai du philosophe Jean-François Mattéi.
L’indignation se dresse devant l’offense faite à autrui ; elle est rébellion face à un outrage.
« La colère peut-être folle ou absurde ; on peut être irrité à tort ; on n’est indigné au fond que lorsqu’on a raison par quelque coté ; Jean Valjean se sentait indigné ».
Georges Bernanos décrit l’indignation comme le « tressaillement du cœur généreux blessé », qui s’étonne que « le bien fasse défaut ».
S’indigner n’est pas un exercice lacrymal d’égotisme spectaculaire, mais l’honneur rendu à un être blessé, une volonté secourable de préserver sa dignité d’homme : Je m’indigne donc tu es.
Cette notion induit un critère de seuil, de niveau de tolérance, dont chacun à une conception variable : « on ne saurait s’indigner qu’à partir d’une certaine hauteur où il faut se maintenir coute que coute, sauf à rougir de soi ».
L’indignation exige une réaction sincère, authentique face à un événement singulier, pour convertir en action, l’empathie éprouvée avec une souffrance réelle.
Il ne s’agit pas de faire mine de souffrir pour autrui, ni se réjouir secrètement de maux pour glorifier ses propres insuffisances ou faiblesses ; le sentiment doit échapper au ressentiment et s’interdire toute propension aux fatalisme, nihilisme ou cynisme de pacotille.
L’indignation a pour message clair le refus de l’inacceptable, afin que jamais il n’acquiert ses lettres de normalité.
Ce n’est pas une posture manichéenne divisant le monde entre le bien et le mal, sauf à devenir imposteur, en faisant mine d’appartenir au collège des bien-pensants. Robespierre a montré combien la vertu érigée en idéologie pouvait faire des ravages.
Il ne suffit donc pas, même haut et fort, de dénoncer ni crier au scandale ; il faut agir, à l’instar d’Antigone, Médée ou Flora Tristan ou de tant d’anonymes qui, au cours de l’Histoire ont refusé de se soumettre, en s’opposant, conscients qu’était révolu le temps de déplorer, critiquer, regretter et qu’il devenait impérieux de changer les choses (Jacquerie au Moyen-âge, révolutionnaires de 1789, Commune de 1871, Résistance ….).
Antidote à la froideur et à l’indifférence, l’indignation est la réaction juste et harmonieuse du cœur et du corps face à l’impensable.
Pour un écrivain, s’indigner sera prendre sa plume comme VOLTAIRE pour défendre CALAS ou ZOLA s’engager dans un combat et réhabiliter DREYFUS.
Pour un avocat, c’est lutter sans chercher à plaire contre les dérives, abus, injustices, complaisances ou compromissions, vilenies et atteintes aux libertés de toutes sortes, demeurer l’empêcheur de juger en rond.
Jacques Varoclier