« Le style est le vêtement de la pensée » Sénèque
Qualifié de grand au 17ème siècle, il désigne son admirable perspicuité, cette clarté concise de la langue qui donne à la pensée, une précision musclée, induite de l’étymologie incisive du poinçon (stilus).
Boileau dissuade d’un style trop rapide, ce « torrent débordé qui, d’un cours orageux, roule plein de gravier sur un terrain fangeux »).
Le style est révérence, art de l’écriture sachant donner relief et forme à l’idée sans rechercher l’effet, ajouter en allégeant, marier l’image et le mot dont la place idoine sert la narration avec énergie et efficacité ; il suscite mouvement, tonalité et couleur, âme au-delà du sens.
L’écrivain est libre de son écriture mais pas de son style qui est sa signature, son empreinte sur les mots pour leur demander hospitalité ou les soumettre à sa pensée, au gré d’une plume aérienne ou appuyée, clandestine ou conquérante. Il est nécessité la « patte » de l’auteur qui avec phobie de la banalité, donne relief aux mots, idées, humeur ou humour, puisées au croisement de sémantiques impétueuses ou mélancoliques, ayant fécondé ou enrichi notre propre langue.
En peinture, Picabia niait son existence, par refus affiché de réduire le style à l’apparence. Pourtant, il révèle l’artiste dans toutes ses œuvres. Quelques notes suffisent à l’oreille initiée pour identifier Mozart ou Beethoven, s’agît-il d’une symphonie, d’un concerto ou d’un opéra.
Le style est l’identité intrinsèque de l’auteur, sa personnalité, les cordes vocales de sa pensée, aussi uniques que ses empreintes digitales. Il est la main qui guide sa plume, désigne sa manière d’écrire, la mélodie de ses phrases, le choix de mots dont la sonorité ou le rythme, la ponctuation ou la grammaire qui en régissent l’agencement, vont contribuer à cette combinaison agréable tant à l’œil qu’à l’oreille, cette composition semblable à l’écriture d’une œuvre musicale.
« Le style est l’homme même » (Buffon). L’artiste n’a donc pas le choix ; le style lui est consubstantiel ; il est son incarnation. A l’instar du corps politique du Roi, souverain et immortel selon Kantorowicz, le style est le corps littéraire de l’auteur, son corps textuel et intemporel. Le créateur ne peut échapper à son idiosyncrasie et même s’il fait miel du talent des autres, il énonce avec singularité et sensualité sa vision du monde à travers des mots choisis, des rythmes, une écriture qui exprime son désir d’être.
Pour Marie Darrieussecq, le style est « la voix qui insiste et trouve sa voie » .
Nourri de sa propre culture, désaltéré aux fontaines de ses pairs, l’artiste, quel que soit son art, projette son moi dans son œuvre. Pour un écrivain, le style est musique de sa pensée, le tour donné à ses phrases pour l’esthétiser en jouant toue le clavier des mots avec un sens « absolu » du tempo comme on le dit de l’oreille du musicien.
Cette composition est une érotique provoquant mise en bouche de syllabes dont la prononciation est voluptueuse ; il est l’oxygène d’une langue spiritualisée : « Un même vent paraclet glisse entre les mâts des consonnes et gonfle les voiles des voyelles de leurs mots » (Mathieu Terence Présence d’Esprit). C’est la magie du mot juste employé in the right place at the right time.
Pour Roland Barthes, avec le style, la prose conquiert ses lettres de noblesse et accède à l’état de grâce de la poésie. Il est surtout ce « je-ne-sais-quoi » de la littérature qui nous la fait aimer.
Jacques Varoclier