« J’ai fait ceci, dit ma mémoire.
C’est impossible, dit ma conscience.
Et c’est ma mémoire qui cède. »
Frédéric Nietzsche
Notre cerveau privilégie une représentation cohérente, simple et concordante de notre environnement. Il ne cesse de collecter les informations pour les trier, ordonner et organiser selon une logique interne, confortée par l’apprentissage social; mais il aime la quiétude et la stabilité.
L’ennemi de la pensée est son propre passé; la mémoire est un réservoir d’idées inertes qui ne sont plus pensées mais simplement reçues; à l’instar de la méthode du panier de pommes chère à Descartes, l’esprit doit faire le tri en « vidant la corbeille » de ses opinions fossilisées pour exercer sa force critique; le premier acte de la pensée doit donc être la contestation, voire le rejet au bénéfice d’un doute salutaire et constructif. Entrer en connaissance exige humilité et abstraction de ses certitudes, commande de rectifier les idées reçues, reléguer le déjà-su, le déjà-aimé ou maitrisé pour aller à la rencontre de l’inédit déstabilisant. Cette démarche oblige à franchir la barrière des acquis, souvent convertis en Vérités.
Un tel abandon requiert des efforts proches du sacrifice pour acquérir les outils d’une connaissance nouvelle, dont la découverte peut-être douloureuse en raison de l’anéantissement rétroactif possible de ses croyances et épistèmê.
Comme l’oreille du musicien est blessée par une fausse note, le cerveau éprouve malaise lorsque l’une de ses convictions est ébranlée ou contestée par une information nouvelle. Il se préserve et tente alors d’en minimiser l’inconfort. La théorie de la dissonance cognitive décrit cette réaction de protection ; elle a été élaborée par Léon Festinger, suite à l’expérience d’une secte ufologiste convaincue, au début des années 1950, que des extra-terrestres viendraient chercher ses membres pour les faire échapper à une fin du monde imminente.
Cette théorie recouvre toutes les occurrences des dilemmes ou cas de conscience et d’une façon générale, des télescopages entre des cognitions diverses. Plutôt que remettre en cause ses convictions, l’individu cherche des excuses, évite l’information gênante, la dénigre ou remet en cause sa crédibilité. Autrement dit, il privilégie une sortie élégante pour légitimer son refus et éviter l’impasse.
Ainsi, le groupe ufologiste, constatant que la soucoupe volante attendue n’était pas venue, ne fut point dépité mais fut encore plus admiratif de Mademoiselle Keech, son gourou, lorsqu’elle expliqua à ses adeptes que leurs actions et foi avaient sauvé le monde.
« L’homme croit toujours ce qu’il préfère »…. (Bacon)
Jacques Varoclier