Selon cet aimable philosophe écossais du XVIIIème siècle, l’homme naît tabula rasa ; son entendement débute vierge et se nourrit des données de l’expérience acquises via nos sens qui fournissent des perceptions extérieures (couleur) ou intérieures (joie, colère).
Ces « impressions » résultent de sensations dont la vivacité ou l’intensité peuvent varier. Leur mémoire fait naître les « idées », version seconde mais non secondaire des impressions, passée par le filtre de la raison. Mais aucune conjecture, spéculation, prédiction ou imagination ne peut équivaloir à ce que nous vivons.
L’esprit humain fonctionne comme un transmetteur d’intensité par association d’idées. Il est un théâtre ou interagissent cette multitude d’impressions produites par les sens ou le corps. Il éprouve cet amas de perceptions mais n’est pas une chose qui pense ; il reçoit, mais ne hiérarchise pas. Notre capacité imaginative ou d’invention se réduit à orchestrer les matériaux de notre expérience. Un aveugle de naissance n’a pas d’idée de la couleur, ni le sourd du son. En résumé, pas de sens, pas d’idées.
Parmi les objets de la raison, David Hume distingue deux catégories : les relations d’idées et les faits. Les premières concernent les mathématiques (arithmétique, algèbre et géométrie) et relèvent de l’entendement, d’un raisonnement démonstratif, indépendamment de l’expérience ; la vérité y repose sur le principe de non-contradiction. Pourtant si notre raison est apte à déduire des propriétés des nombres ou figures de géométrie, elle ne peut déduire les effets physiques de la vie quotidienne. Ainsi, la combustion et la chaleur du feu sont deux phénomènes différents, dont nous devons expérimenter le lien.
Si un esprit peut faire montre d’habileté démonstrative et induire des lois, même le plus pénétrant ne pourra toutefois apprendre que le feu brûle ou la neige provoque une sensation de froid. A la différence d’une relation d’idées, l’effet n’est pas contenu dans la cause. Cette connaissance ne peut résulter que de notre appréhension du monde et notre rencontre avec les faits.
Nous demeurons disposés à croire que le monde est rationnel parce que la causalité nous rassure; elle permet d’attendre un effet d’une cause avec quiétude.
Mais les empiristes récusent la pertinence du concept de causalité. Hume la réduit à une simple juxtaposition, une contiguïté répétée d’événements, une habitude de l’esprit sans preuve de la connexion nécessaire entre A et B, y compris sur le plan psychologique entre intention et action. Nous constatons simplement une régularité d’enchainement qui nous fait attendre les effets, mais sans pouvoir démontrer la nécessité causale.
C’est extrapoler que de passer de l’un à l’autre ou confondre conjonction et connexion nécessaire. Pourtant notre esprit franchit le pas ; la récurrence donne crédit à la probabilité d’une réitération. Nous pensons ainsi que le soleil se lèvera demain, mais sans pouvoir démontrer ce fait. Nous attendons de l’avenir sa conformité au passé. Ce principe est commode et précieux dans la vie de tous les jours, mais il ne s’agit que d’habitude, d’accoutumance et non d’une assise rationnelle. Pour Hume, le contraire d’un fait est toujours possible.
Nous n’avons de certitude que pour le passé où la répétition conforme a déjà eu lieu. Mais, la projection que nous en faisons pour l’avenir, décrit simplement une loi de la nature humaine, prompte à attendre le retour du même, à induire le probable. Plus l’occurrence se répète, plus la croyance est forte.
Mais cette foi repose seulement sur l’association d’idées, qui opère dans notre esprit par ressemblance, continuité spatiale et temporelle et jonction postulée entre deux événements successifs, à l’aune d’une expérience passée jamais encore démentie. C’est une causalité bon marché, réduite à induction, une inférence, une simple relation stable de succession de prius a posterius.
Le jeu du temps conduit l’esprit à faire connexion d’une simple conjonction, un « DONC » d’un « ET ». Nous tirons ainsi des faits, un savoir bien supérieur à ce qu’ils donnent puisqu’ils n’enseignent rien de plus qu’une constance, donnant l’illusion d’un savoir : « Toute notre science est un savoir sans savoir ».
Jacques Varoclier
Avocat à la Cour
Daniel Pimbe L’énigme des faits »
Petit Journal du Cabinet n° 36 : Cause toujours https://www.varoclier-avocats.com/wp-content/uploads/2015/09/le-petit-journal-du-cabinet-varoclier-avocats-n36-septembre-2015.pdf