Lorsque nous comprenons ses sentiments et émotions, nous appréhendons l’affectivité d’autrui. Cette résonance peut s’exprimer sous forme de sympathie, empathie ou compassion.
Économiste libéral et philosophe, Adam Smith débute sa Théorie des sentiments moraux par cet incipit : « Aussi égoïste qu’on puisse supposer l’homme, sa nature comporte apparemment des principes qui le conduisent à s’intéresser à la bonne fortune des autres et qui lui rendent nécessaire leur bonheur, quoiqu’il n’en retire rien d’autre que le plaisir de les voir heureux. »
L’émotion suggère une force qui met en mouvement (motio = mouvement, e = qui vient de) et s’insinue dans les expériences d’autrui via l’interaction sociale. Smith voit d’ailleurs la sympathie comme un mécanisme, une faculté de l’esprit permettant d’imaginer le ressenti d’autrui. Ainsi, la sympathie serait un outil de communication réussie entre deux individus.
“La sympathie avive la joie et atténue la peine.”
Adam Smith
Élevé en dehors de tout lien social, un être ne pourrait éprouver de sympathie, faute de mesurer une harmonie de sentiments, tout comme un aveugle de naissance n’a aucune idée du rouge. Cette transfusion émotionnelle suppose donc une sensation déjà personnellement éprouvée.
Pourtant Smith réfute l’idée d’une récupération égoïste des expériences de l’autre ; il évoque une substitution de rôle, expliquant ainsi qu’un homme puisse « sympathiser avec une femme qui accouche ».
Cette définition est proche de ce que nous appelons aujourd’hui empathie pour décrire notre capacité à nous mettre à la place de l’autre, mais avec distance, sans contagion ni submersion. L’empathie tend la main avec l’esprit plus qu’avec le cœur. Elle est hospitalité à l’humanité de l’autre mais relève moins du sentiment que du désir d’aider, d’une attitude rationnelle réceptive, à l’instar du médecin avec son patient, se préservant de toute implication émotionnelle personnelle. L’empathie comprend sans éprouver, ni approuver.
La compassion, elle, est plus généreuse. Elle perçoit, partage par projection et s’identifie à l’autre ; ce ressenti oblatif est du registre de la vertu plus que de l’intellect. Elle ressortit à l’affect, sans distanciation ni recul, mais avec respect. Le compatissant a vite l’oeil humide, ressent dans sa chair ce que l’empathique analyse de façon clinique avec le détachement de l’entomologiste.
Aussi élevée soit-elle, cette projection demeure un reflet, une imitation pâle de l’original, imparfaite et modératrice mais inspirant cette affinité spécifique dont l’étymologie cum patior explique bien que le compatissant « souffre avec », fût-ce en mode « Canada Dry ».
“Même l’homme le plus charitable sera plus profondément affecté par la perte de son petit doigt que par la nouvelle de la destruction complète de l’empire de Chine.”
Adam Smith
La compassion est épurée de la connotation religieuse de la miséricorde ou pis encore de la pitié, disqualifiée par son regard condescendant et passif, critiquée comme une faiblesse ou une forme méprisante de charité bourgeoise. La compassion au contraire est valorisée par sa prédisposition fraternelle ouvrant le coeur à réciprocité. Avec la joie ou le bonheur, cette communion prend couleur de sympathie irradiante et expansive.
Jacques Varoclier