Une promesse est un don, celui d’une parole. Elle est un acte illocutoire, une action parlée ; dire devient faire, à l’instar d’un énoncé comme « la séance est ouverte ». Elle s’illustre dans l’honneur cornélien, la morale kantienne (« je dois, donc je peux ») ou celle plus clémente mais rigoureuse d’un Jean-Marie Guyau pour qui « je peux, donc je dois ». La dimension éthique lui est donc consubstantielle.
“Examine si ce que tu promets est juste et possible, car la promesse est une dette.”
Cette parole de Confucius définit l’épure. Avec humilité prosaïque, ma grand-mère invitait à la prudence de l’engagement : « promets ce que tu peux tenir », consciente que la promesse est un sourire qui confie au temps sa valeur et sa vérité.
Être l’obligé de quelqu’un, c’est être son débiteur. Ce lien entrave, mais fût-il aussi juridique, il est surtout (é)preuve ontologique de ma liberté, de mon aptitude à me soumettre à ma volonté et d’éprouver ainsi la chaleur bienfaitrice de l’estime de soi. Nietzsche évoque « l’implacable logique de la dette », celle du Marchand de Venise : tant que je n’ai pas tenu parole, je suis débiteur.
À l’opposé se situe Don Juan, qui comme le personnage shakespearien Henri V, juge vil « le manant qui paie ». À ses conquêtes (mile e tre), il promet sincèrement, y compris le mariage, jusqu’à ce que la femme baisse sa garde ; cependant pour ce séducteur impénitent, « chose promise… n’est pas due » ; le langage n’est pas un acte mais un jeu de société où tout est fiction ou artifice.
Il savoure le présent et se réjouit d’un avenir qu’il sait écrit au féminin pluriel. En libertin mécréant, il se divertit, ne possède pas mais obtient, comme un dû aristocratique. Sans remords, Don Juan revendique jusqu’au droit de se détruire pour combler son désir, qu’il croit incarner sa liberté. Il meurt d’ailleurs en serrant la main de la statue vengeresse du Commandeur, geste symbolique incarnant la nature performative de la promesse.
Pourtant, il est téméraire pour l’homme de promettre, alors que son identité est fluide, évolutive, inconstante et souvent méconnue, constat inspirant à Pindare son aphorisme « deviens ce que tu es, dès que tu l’auras appris ». Depuis qu’Epiméthée a omis de lui assigner une singularité immuable, l’homme est résolument devenir et choix. Son existence précède son essence, laquelle n’est ni figée ni définie, mais en puissance.
Pro-mettre, c’est mettre devant, se pro-jeter dans l’avenir et anticiper, pré-juger de celui que je ne suis pas encore pour l’engager de façon irréversible. C’est se porter fort de soi-même, se rendre complice d’un futur et d’un moi encore inconnus, sur lesquels je prétends influer au prix éventuel de ma liberté. Celle-ci ne consiste d’ailleurs pas à faire ce que je veux quand je veux, ce qui serait licence, mais à être « auto-nome », c’est-à-dire sujet de ma propre loi.
La promesse que je fais n’a force et valeur qu’à mon égard. Contrairement à celle du politicien, elle engage uniquement celui qui l’exprime ; je « me » sens tenu, plus que je ne le suis vis-à-vis d’autrui. Je m’oblige à tenir parole.
La promesse est ce prix de la confiance qui structure la vie personnelle mais aussi collective puisqu’elle est indispensable au droit, à la politique, l’économie…
La promesse est ainsi à la liberté ce que le devoir est au droit.
Jacques Varoclier