La langue de bois (xyloglossie du grec xylon : bois et glossa : langues) évoque un discours convenu sachant manier avec aisance barbarismes et sentences, où creux et imprécision se donnent la réplique pour exiler la vérité.
Pour dénoncer de tels discours xyloglottes, les Indiens d’Amérique fustigent une langue fourchue, les Cubains parlent du tac-tac et les Allemands, de langue de béton. En France, « xylophile » décrit l’art de ces talentueux adeptes de la langue de bois, assimilable à un espéranto institutionnel, utilisé entre États, par les diplomates et les hommes politiques mais aussi dans le monde de l’entreprise.
Croix de bois, croix de fer…
Cette langue figée est supportée comme inévitable ; chacun fleure l’imposture mais personne ne s’en indigne ni ne la dénonce, comme par soumission consentie au mensonge. Elle n’est ni une convention sociale destinée à pondérer une vérité désagréable, ni une litote de courtoisie, mais elle énonce le contraire de son message apparent, comme le newspeak d’Orwell dans 1984.
“ Chacun fleure l’imposture mais personne ne s’en indigne ”
Robespierre, Saint-Just et la Révolution lui auraient donné ses lettres de noblesse ; elle a depuis été pratiquée avec virtuosité par les États totalitaires et les grands Ismes de nos idéologies politiques. En temps de guerre ou de crise, elle déploie des trésors d’habileté et atteint l’apothéose avec la revendication d’un « parler-vrai ».
Le silence est d’or…
Elle révèle une dissymétrie, car elle est par nature descendante, imposée par une forme d’autorité s’adressant à des auditeurs censés y faire allégeance, symboliquement au moins. Elle exprime l’abus d’un orateur méprisant qui se croit autorisé à tenir un discours mensonger, alors que personne ne pourra le contredire.
Le xyloglotte profite du silence obligé de ceux qui l’écoutent pour leur infliger l’humiliation de banalités ou contrevérités. Elle est un danger pour la démocratie puisqu’elle déprave la parole, au risque de gangrener la pensée de l’auditeur, en le manipulant pour mieux infléchir ses actes.
La langue de bois est d’essence totalitaire. Néanmoins, l’on se joue d’elle autant qu’elle se joue de nous. « Des branches aux racines / De la base à la cime / Je chante ma langue de bois / Perché sur du Racine » chante Nougaro, soulignant ainsi sa vraie… nature !
Jacques Varoclier