La science s’avance parfois en habits d’apparat pour irradier d’autorité. L’expérience de Stanley Milgram réalisée dans les années 60 a déjà montré les dérives de la déférence inquiète, qu’inspire aux non-spécialistes, la blouse blanche de l’expert.
De même, l’exactitude procure aux nombres l’aura d’une vérité. Pourtant, dans le monde des statistiques, ce noble mot doit résister à la majuscule car pour être exacts, les chiffres peuvent provoquer des inférences erronées.
En matière pénale, de telles dérives ne sont pas rares, ce qui est grave. Leila Schneps, mathématicienne le démontre dans un ouvrage co-écrit avec sa fille « Les Maths au Tribunal » (Editions du Seuil). Le livre pointe les injustices/erreurs judiciaires auxquelles, les chiffres ont pu conduire.
Une source fréquente d’erreurs ou de failles d’interprétation est le mésusage des probabilités.
L’exemple classique est celui d’un gagnant au loto accusé d’avoir triché. Selon son procureur, la probabilité de gagner au loto étant d’une chance sur 20 millions, il est convaincu tenir un coupable……, sauf que son raisonnement repose sur une erreur cardinale en matière de probabilités, savoir le nombre de participants. En effet, même si le taux de réussite est infime, les chances de gain augmentent avec le nombre de joueurs.
Dès lors grâce au Théorème de Bayes, lequel est aux probabilités ce que celui de Pythagore est à la géométrie, il est possible de déterminer la probabilité de l’innocence de l’accusé.
Ainsi, en combinant une probabilité de gagner (1 chance sur 10 millions) et un pourcentage postulé élevé de joueurs innocents (estimé à 99.99%, soit 1.000 tricheurs sur 10 millions de joueurs), l’innocence du gagnant est alors de près d’une chance sur 2 (49.99%), taux sans commune mesure avec celui retenu par le Torquemada d’opérette.
De la même façon, la probabilité que 2 personnes soient nées le même jour dépend du nombre de présents dans une salle ; à partir de 33 personnes, elle est déjà de 50% ; dans une salle de 50 personnes, le risque de se trompeur d’un parieur tombe à 3%.
Dans un autre registre, la probabilité que deux ADN soient identiques est d’environ d’une sur 10.000. Si dans une affaire de mœurs, un suspect a un profil identique à celui trouvé sur la victime, l’accuser ne signifie pas inversement qu’on ait 1 chance sur 10.000 de se tromper.
En résumé, il faut un contexte ; sans recoupements, renseignements ou indices complémentaires, une statistique peut aisément induire en erreur. En pratique, une statistique permet de restreindre le nombre de suspects mais non d’accuser avec certitude. Elle sert donc plus la défense que le Ministère Public, si elle est bien analysée. En toute hypothèse, elle est impropre à désigner un coupable.
Jacques Varoclier