“J’ai décidé d’être heureux parce que c’est bon pour la santé.”
Voltaire
L’homme de la Modernité voulait changer le monde ; celui des Lumières, confiant en une Raison éclairée et un Savoir guidant le progrès des sciences et techniques, annonçait le bonheur de l’humanité. L’homo consumerus du xxie siècle, lui, aspire à « profiter » ! Tout est dit dans ce verbe à résonance dépréciative.
Pourtant, lorsqu’il est matériel, le bonheur usurpe son nom et se disqualifie en jouissance immédiate pour finir sa course dans l’impasse prévisible de la frustration ou l’amertume, happé par le rythme du pendule de Schopenhauer d’une vie oscillant entre le manque et l’ennui.
Notre époque de « créanciers » fait du bonheur un droit, mais à faible teneur qualitative. Réduit à une quête matérielle compulsive illusoire, « l’avoir » semble devenu le seul horizon de l’homme post-moderne (L’Ère du vide, Gilles Lipovetsky).
Ainsi, la publicité s’échine à nous faire croire que le bonheur a un prix, celui de l’objet dont elle crée artificiellement le besoin. Même si le mot a disparu, elle recourt toujours à la « réclame », cette promotion insidieuse dédiée à troubler le « temps de cerveau disponible » ou l’inconscient pour susciter une kyrielle de faux désirs.
« ON NOUS FAIT CROIRE
QUE LE BONHEUR C’EST D’AVOIR
DE L’AVOIR PLEIN NOS ARMOIRES
DÉRISIONS DE NOUS DÉRISOIRES »
Extrait de la chanson Foule sentimentale d’Alain Souchon
Dans un dessin remarqué, Sempé, qui sait croquer avec talent ses traits d’esprit, se gausse d’un pharmacien rassurant son épouse sur le fait qu’il dispose en rayon de tous les calmants et anxiolytiques nécessaires pour être heureux.
Si l’hédonisme se fixe le plaisir pour but, il n’est pourtant pas licence impétueuse. Épicure en effet enseignait une philosophie de tempérance, du plaisir catastématique (en repos), l’art de minimiser douleurs et souffrances et non cette conception contemporaine dévoyée d’excès, de divertissements et loisirs. Panem et circenses ! (Du pain et des jeux !)
Au lieu d’oxygéner l’esprit, réfléchir à l’horizon de la condition humaine et soutenir la culture – « résistance à la distraction » selon Pasolini –, le temps est à l’abrutissement spirituel, à l’injonction de rire ou de s’étourdir pour exorciser l’angoisse. Chacun perçoit pourtant par intuition ou réflexion un ennui métaphysique, un malaise diffus mais prégnant de vide existentiel.
Le bon-heur a une étymologie ambiguë puisque exprime l’idée d’un destin bienveillant frappant à la porte. Cette métaphore « godotisante » met l’homme à la merci ou dans l’attente de quelque chose qui lui échappe. Une telle appréhension passive déresponsabilise et ouvre voie à un fatalisme de mauvais aloi. Pourtant, le bonheur n’est ni le gain au Loto, ni la grâce augustinienne, ni l’œuvre de Diké, déesse de la Justice. Il ressemble davantage à un surgissement, un élan de l’esprit ou du cœur, telle la joie spontanée, rieuse et éclatante d’un enfant, communicative comme un fou-rire.
Pour Jean Klein (La Joie sans objet), la « recette » du bonheur est en soi, « présence à soi-même », art eudémoniste et quête du vivre-bien. S’il était un lieu, sa chaleur dépendrait non du décorum mais de la présence de celui qui lui donne vie, y rayonne et l’éclaire. Prédisposition à la plénitude d’exister, il importe alors peu que le bonheur soit éphémère s’il est récurrent et fait feu de tout bois existentiel pour, sans en chercher cause ni raison, ressentir les bienfaits d’une vie dont le but n’est pas d’être distraite mais de s’accomplir.
“Le vrai bonheur ne dépend d’aucun être, d’aucun objet extérieur. Il ne dépend que de nous.”
Dalaï Lama
Plutôt que souffrir sans fin de ce qui n’est pas ou de ce que l’on n’a pas, André Comte-Sponville suggère de préférer l’action à la passion, d’aimer un peu plus et désirer un peu moins, jouir et se réjouir de ce qui est ou de ce que l’on a.
Alors puisons les ressources dans notre paysage intérieur pour faire de 2015 une belle année dédiée à l’épanouissement de l’être ! Soyons heureux !
Jacques Varoclier