Le manichéisme de la question égare car l’alternative appelle moins un choix qu’une priorité. En effet, sans sécurité la liberté serait une illusion ; même si, individuelle ou collective, elle demeure une impression psychologique (sans souci) ; néanmoins sa quête ne doit pas conduire à effriter nos droits, au prétexte de les protéger.
« Un peuple prêt à sacrifier un peu de liberté pour un peu de sécurité ne mérite ni l’une ni l’autre et finit par perdre les deux. »
Benjamin Franklin
Le devoir de l’État est d’inspirer la confiance nécessaire pour que sous la conduite de la raison, chacun se sente libre de dire, croire, faire, penser et agir sans crainte. Pour autant, cette liberté ne doit pas être fantasmée mais consciente des risques inhérents à la vie par nature précaire et aléatoire ; elle consiste alors à faire de notre fragilité une dynamique, ce que le philosophe Miguel Benasayag appelle une « puissance d’agir ».
Après des tragédies terroristes, l’émotion submerge et incline à convertir notre tristesse en peur, ce fléau qui « corrompt, étouffe et anéantit lentement tout sens du bien et du mal » (Aung San Suu Kyi).
« Face aux ténèbres / J’ai dressé des clartés / J’ai ancré l’espérance / Aux racines de la vie. »
Andrée Chedid
L’angoisse est un terreau idéal à une mainmise de l’État sur la vie des citoyens, à une sécurité offerte au prix d’une érosion des libertés. Telle est d’ailleurs bien la contradiction dans laquelle les terroristes veulent enfermer la démocratie en l’amenant ainsi à désavouer ses propres principes.
Après la tuerie de 2011, le maire d’Oslo suggérait au contraire avec cette sobriété scandinave : « Nous punirons le coupable par plus de générosité, plus de tolérance et de démocratie. »
L’instauration durable d’un état d’exception évince sournoisement le pouvoir judiciaire au profit d’une police administrative. Sous l’emblème de l’ordre public, les plans Vigipirate perdurent et les opérations de police se débrident dans l’indifférence.
Comment ne pas s’émouvoir de textes plébiscités par le silence des pantoufles, permettant ainsi d’assigner à résidence « toute personne à l’égard de laquelle il existe de sérieuses raisons de penser que ses comportements constituent une menace pour la sécurité et l’ordre public » ou encore d’assouplir l’usage des armes à feu par la police, les militaires ou les douaniers. Cette porte ouverte à l’arbitraire et à un risque d’homicides « légalisés » ne lasse d’inquiéter.
La riposte à des fanatiques obscurantistes ne peut se réduire à l’instauration durable d’un état d’urgence par nature régressif, sauf à entrer dans « l’ère des suspects » évoquée avec justesse par Jacques Toubon, Défenseur des Droits et tous devenir des présumés coupables par un œil d’État, prompt à redevenir Léviathan.
À la lâcheté d’un terrorisme jouissant de l’effet de panique, la réponse est plurielle et n’incombe pas seulement à l’État ; au-delà de l’indignation, elle s’exprime aussi par le courage vulnérable d’un peuple se tenant debout et refusant l’apathie, le repli sur soi ou la haine, et opposant à la barbarie, la fidélité à ce qu’il estime juste.
La liberté est à ce prix qu’il faut la défendre et la préserver même au profit de ceux qui y ont renoncé, ou se sont assoupis, au point d’oublier qu’elle est aussi essentielle que l’oxygène qu’ils respirent.
En revanche, la fidélité à nos idéaux exige sévérité à l’égard d’assassins qui revendiquent leurs crimes avec allégresse, fierté ou gloire. Nul pardon ne peut être accordé à qui n’en fait pas demande.
Jacques Varoclier