Autour de la Renaissance, l’économie est sortie du champ de la philosophie pour devenir une discipline autonome, s’intéressant à la création et la circulation des biens et richesses, sous le nom d’économie politique. Ce n’est qu’au milieu du XXe siècle qu’elle va prétendre au statut de science.
Grisée par cette promotion, elle va substituer à son esprit de finesse celui de géométrie, cherchant alors sa quadrature, gageure ô combien téméraire pour un champ giratoire.
En effet, à l’instar d’une cymbale, l’économie résonne, retentit et décrit un processus tant cyclique que circulaire. Ainsi, la demande dépend d’un prix lié à l’offre, laquelle est corrélée à la demande.
Cet environnement de poisson rouge n’a pas dissuadé ses théoriciens de mathématiser la discipline et d’élaborer de complexes graphiques et équations, prétendant alors modéliser et neutraliser l’aléatoire. Pourtant, l’économie échappe au monde parfait de la raison raisonnante, catégorie idéelle éloignée d’une réalité plus rebelle.
Élaborer une politique économique est chose subtile et complexe, car sa simple mise en oeuvre infléchit le réel et provoque ainsi hiatus entre l’idéal postulé, attendu d’un « agent rationnel » et l’indiscipline observée qui s’ensuit.
« Les prévisions constituent un art difficile, surtout quand elles portent sur l’avenir. »
Edgar Faure
Il n’existe pas plus de vérité que de réalité économique invariable, sauf dans l’éther de l’abstraction pure et de l’intangible.
L’économie (dont l’étymologie provient du grec oikos maison, décrit la bonne gestion de sa maison et ses biens) n’appartient pas au monde platonicien des Idées. Dans le monde sensible, la réalité est plus triviale et imprévisible, fruit du télescopage de tendances contradictoires et au carrefour d’événements interdépendants.
C’est pourquoi, les propos des économistes ressortissent davantage à un perspectivisme rétrospectif, une prospective historique ou une propension à la prévision uchronique. De doctes spécialistes expliquent ainsi magnifiquement,
ex cathedra et après coup ce qu’il aurait fallu faire avant, ou encore pourquoi le réel s’est trompé en osant contredire la théorie.
Ainsi la discipline se heurte aux limites du raisonnement-fiction ceteris paribus (toutes choses égales par ailleurs) ; en effet, il est impossible de stabiliser ou d’isoler certaines variables autrement que par abstraction. Les lois de l’économie ne sont pas celles de la physique et leur énoncé ne parvient pas à assujettir une réalité capricieuse, incertaine et imprévisible. L’agent économique de référence étant humain, il n’agit pas de façon prévisible.
En dépit de ses prétentions à l’universel, l’économie demeure une rhétorique, souvent virtuose, mais qui peine à franchir le seuil du discours, fût-il érudit et cultivé ; elle assène des idées réputées évangéliques, sans craindre
de succomber à la tentation de l’approximation, voire de la manipulation des chiffres ou des statistiques.
« Je ne croix aux statistiques que lorsque je les ai moi-même falsifiées. »
Winston Churchill
En définitive, cette belle construction intellectuelle démontre moins qu’elle argumente. Elle entend séduire une opinion par nature hétéroclite, versatile et profane, celle de la foule, auditoire complexe et singulier au point d’être le sujet de thèse de Keynes sur la théorie boursière.
« Les statistiques, c’est comme le bikini, ça montre tout mais ça cache l’essentiel. »
Louis Armand
Les fameux « marchés financiers » en sont une illustration éclairante puisqu’ils sont timorés ou excités, insatiables et imprévisibles et in fine soumis à la même irrationalité, laquelle fait ainsi fébrilement loi.
Jacques Varoclier
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