Gainsbourg promenait une silhouette de dandy timide. Doté d’une grande exigence musicale et d’un sens aigu de l’art, il composait, écrivait et chantait moins pour plaire, que taquiner avec une gourmandise amusée, les limites de l’ordre établi ou de la pensée étriquée. En baudelairien avant-gardiste, il percevait le scandale comme une vue de l’esprit, aimait les interdits pour les transgresser et mener sa rébellion de baladin provocateur.
Pour son 16e album Love on the Beat, il frappe fort. Musicalement, il rompt avec le reggae des disques précédents et fait appel à des musiciens new-yorkais pour obtenir un son rock, qu’il qualifie d’Electric Funk. Maître des mots et tonalités, il joue avec les titres, des paroles évoquant ses obsessions libidineuses, ou des sonorités ambivalentes, qu’il accompagne de cris de jouissance de sa compagne, de mélodies en Chopin mineur ou de la grâce du son voluptueux du saxophone.
Chanteur-poète, Gainsbourg était aussi artiste graphique, sensible au dessin et à la peinture, art majeur à ses yeux. Grimé en travesti, il offre à son public une photo de William Klein en noir et blanc ; seule la bouche en rouge illustre visuellement l’ambiguïté de l’album. Cette mise en image, habile et esthétique, trahit aussi une impression de clown blanc mélancolique, de déracinement d’un saltimbanque flamboyant et séditieux.
Delphine Leverrier a travaillé cette pochette en vue de sublimer la bouche de Gainsbourg, souligner ses cheveux avec des mèches d’argent, en conservant sa place à la fumée blanche et diaphane d’une cigarette mise en scène par une posture élégante de la main.
Visuels : Barbara Bruchmann-Cotterot